Ce reportage intitulé La bande à Corneille (1973) nous plonge dans le quartier des Marolles où nous rencontrons des adolescents qui vaquent à leurs occupations. Ce quartier est bien connu des Bruxellois et l’on reconnaît aisément les lieux qui faisaient le quotidien de ces jeunes. Quartier populaire et plutôt pauvre, il a la particularité de se situer au pied du palais de justice, édifice majestueux et massif, symbole du pouvoir judiciaire et dès lors de l’État. La bande à Corneille semble voyager de la ville basse à la ville haute en s’insinuant dans leurs interstices. Ce court reportage peut être lu de plusieurs manières. J’ai personnellement été particulièrement sensible à la question de la place. Quelle place ces jeunes peuvent-ils trouver dans l’espace public et dès lors – par extension – dans la société ? Si la société ne leur en donne pas, ils en trouvent, quitte à déplaire aux voisins et aux vieilles dames du quartier. On sent l’importance qu’ils accordent au lien qui les unit, sans sentimentalisme excessif. Ils évoquent ce qui leur importe finalement : les filles, l’argent, les motos et la chanson. Comment trouver sa place d’homme et la faire entendre dans la société ? Pour les personnes non bruxelloises, le phrasé et le vocabulaire de ces jeunes sont inspirés du brusseleir, un parler d’origine germanique qui s’est progressivement nourri de mots français. Ce parler condense ainsi l’héritage linguistique flamand (langue qui était principalement parlée par les classes populaires et pauvres de la jeune Belgique) avec le français (langue de l’élite bourgeoise, lettrée et riche du pays). Le reportage illustre dès lors comment ces jeunes voyagent entre deux mondes pour tenter d’y trouve un espace d’existence, parfois de manière provocante et innovante. D’un point de vue psychologique, on y retrouve la nécessité pour ces jeunes de se retrouver entre pairs, de construire une image positive et solidaire de leur groupe d’appartenance – appelé ingroup par Tajfel (1970) – et une image dévalorisée voire menaçante des autres groupes, appelés outgroups par Tajfel (1970). Le groupe d’appartenance permet de construire une identité personnelle au travers d’un processus psychologique lent et progressif. La relation qu’entretient la bande avec les autres groupes (par exemple les dames interrogées) apparaît de prime abord conflictuelle mais également teintée de bienveillance et de sollicitude. Ainsi retrouve-t-on l’importance pour les groupes de pouvoir être en désaccord avec autrui tout en préservant le lien affectif positif sécurisant. Il revient dès lors aux groupes dominants (par exemple les adultes) d’accepter une marge de conflit avec les autres groupes tout en conservant une bienveillance minimale. Cette dernière étant la condition au dépassement ultérieur dudit conflit.