En Belgique, certains malades mentaux ayant commis un crime ou un délit font l’objet d’une mesure d’internement pénale. Souvent en prison ou en hôpital psychiatrique, ces patients pourraient retrouver une place dans la société civile s’ils bénéficient de soins adaptés. Les équipes mobiles ont été créées pour les aider à trouver ces soins. Notre étude s’intéresse au vécu des intervenants psychosociaux travaillant au sein d’une équipe mobile dédiée au public des internés, au moyen d’une méthode d’analyse phénoménologique et interprétative (IPA) qui vise à mettre en évidence les thématiques émanant du discours des membres de notre échantillon ainsi qu’à mettre en exergue le sens qu’ils attribuent à celles-ci. Cinq thèmes sont apparus : le rapport à l’employeur, l’instumentalisation de la demande, la mission entre soin et judiciaire, le mandat très vaste et le rapport avec le réseau de soins. L’inconfort des professionnels semble nécessiter de repenser le sens qu’ils peuvent donner à leurs actions.
En Belgique, il existe une loi pénale qui permet l’internement de personnes présentant un trouble mental et ayant commis un délit ou un crime. Ces personnes dites internées font simultanément l’objet d’une mesure de sûreté et d’une mesure de soins qu’il n’est pas toujours aisée d’équilibrer. Si les aspects sécuritaires sont bien définis dans la loi, les aspects curatifs ne le sont nullement. Ces derniers sont influencés par les pratiques et directives du ministère de la santé. Parmi ces pratiques, il existe une tendance à la désinstitutionalisation, c’est à dire à traiter préférentiellement les patients en ambulatoire plutôt qu’au sein d’hôpitaux. Par conséquent, il est question de faciliter la sortie des internés des prisons et des hôpitaux afin de trouver une structure de vie adaptée à leur problématique. Cette ambition politique s’avère inédite dans la prise en charge des personnes internées. Or, il ne s’agit pas d’une patientèle anodine. Quels sont les enjeux cliniques d’un tel mouvement de désinstitutionalisation ? Les professionnels chargés de les accompagner rencontrent-ils des difficultés pratiques, cliniques voire éthiques ? Le présent article s’intéresse au vécu de professionnels d’une équipe mobile pour internés confrontés à un objectif nouveau et chargés de réaliser leurs missions dans un climat politique tendu puisque la Belgique a été condamnée à plusieurs reprises (en 2014, 2015 et 2016) par la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation des articles 3 (traitement inhumain et dégradant) et 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention européenne des droits de l’Homme (Cour_européenne_des_droits_de_l’homme, 2013). Bien que les intentions politiques soient nécessaires pour changer les pratiques, il nous semble que c’est le vécu des personnes qui exécutent les tâches quotidiennes qui est la clé de tout changement réel. Notre article apporte dès lors un éclairage inédit pour penser la situation actuelle des équipes mobiles pour internés.
En 1930, la Belgique introduisit une loi de défense sociale dans le but de protéger la société de ses aliénés dangereux. En effet, la question des « anormaux » devint une question centrale à la fin du 19ème siècle dans la foulée du concept de dégénérescence (Morel, 1857). Afin de prendre en charge les aliénés dangereux, une « nouvelle pénologie positiviste à caractère scientiste privilégie, aux marges du champ pénal, une mise à l’écart pour à durée indéterminée d’individus dont le statut oscille entre celui de délinquant et de malade » (Cartuyvels, 2017, p. 94). C’est donc dans cette logique que fut promulguée la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux et des délinquants d’habitudes. En effet, cette loi résulta d’un travail législatif débutant dans les années 1920 afin de tenir compte des préoccupations de la société et instituer ainsi une nouvelle mesure de sureté (Mary et al., 2011). Elle poursuivit un double but : défendre la société contre des individus considérés comme « dangereux » et traiter le malade mental durant le temps de son internement (Basecqz, 2015). Dans les faits, la procédure, jusqu’alors administrative de collocation devint une procédure judiciaire d’internement applicable aux irresponsables visé par l’article 71 du Code pénal belge mais aussi à celui, comme le cite l’article 1er de la loi de défense sociale du 9 avril 1930, se trouvant « dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale le rendant incapable du contrôle de ses actes ». Ceci élargit donc le champ d’application de l’article 71 du Code pénal. Ainsi, « une expertise médicale ou la mise en observation dans l’annexe psychiatrique d’une prison pouvait être décidée par une juridiction dans les mêmes conditions que celles requises pour la détention préventive » (Mary et al., 2011). Le médecin statuait quant à l’existence d’un trouble mental tel que défini par la loi et dans le cas où la culpabilité était reconnue par la juridiction, celle-ci pouvait, après s’être exprimée par rapport au danger social que représentait l’inculpé, imposer l’internement. A défaut, l’article 71 du code pénal s’appliquait. Depuis la promulgation de la loi de défense sociale, un nombre relativement constant de personnes firent l’objet d’un internement. La plupart de ces personnes étaient détenues dans une maison d’arrêt lors de la décision d’internement dans l’attente d’intégrer un établissement de défense sociale ou d’être libéré à l’essai (dans une structure de soin ou au domicile de la personne). Les établissements de défense sociale devinrent toutefois rapidement saturés, ce qui induisit une stagnation des personnes internées au sein des annexes psychiatriques des prisons. Ceci posa rapidement des problèmes de prise en charge puisque les annexes psychiatriques des prisons étaient peu adaptées à un dispositif de nature thérapeutique. Selon Cartuyvels et al. (2005) :
Annexes surpeuplées, établissements de défense sociale chroniquement saturés, manque d’institutions-relais à l’extérieur, patients libérés au compte-gouttes mais presque systématiquement réintégrés, l’image de la défense sociale en Belgique n’est guère enthousiasmante.
Pour Cartuyvels (2017) :
[…] la recherche de terrain souligne plusieurs insuffisances, notamment dans les annexes psychiatriques : le poids de la structure carcérale et la priorité d’un modèle de sécurité ; la faible implication des psychiatres qui travaillent sous statut d’indépendant et partagent leur temps entre plusieurs prisons ; la difficulté de recruter du personnel de soin qualifié pour des positions professionnellement et financièrement peu valorisées ; la priorité donnée, en matière de soin, à une logique de médication, parfois sous contrainte, forme de « camisole chimique » qui prend le pas sur une relation clinique.
Le Comité européen pour la Prévention de la Torture (CPT) s’alarma de la situation inquiétante pour cette catégorie de personnes et invita le gouvernement belge à envisager de nouvelles stratégies de prise en charge. Quelles pouvaient être ces nouvelles stratégies ? Mary et al. (2011) indiquent que l’intention fut d’aborder le problème :
[…] dans le cadre d’une politique sociale globale dans le domaine de la santé mentale (Vervaele, 1987, p. 154) et que soit prise en considération l’évolution de la psychiatrie qui tend à resocialiser le malade en secteur, c’est-à-dire dans son environnement naturel (Matthijs, 1977, p. 448), à le ‘désaliéner’ et à créer dans la société des organismes et des services d’assistance qui permettent d’éviter ou d’abréger l’hospitalisation (Vandemeulebroeke, 1986, p. 206).
En 2007, le Ministère de la Santé mit alors en pratique un projet de circuit de soins à destination de la population internée. L’objectif était de débloquer de nouveaux subsides pour favoriser la sortie des personnes internées des annexes psychiatriques des prisons et de les intégrer dans des structures de soins inscrites dans un réseau de santé plus large. Des coordinateurs furent mis en place pour élaborer ces circuits en partenariat avec les institutions psychiatriques préexistantes. Or, deux nouveaux problèmes émergèrent alors : la frilosité des institutions psychiatriques à accueillir les patients internés et la saturation des places qui leur étaient réservées. En 2013, le Ministère de la Santé créa des équipes mobiles dont la mission principale (et urgente) fut de trouver des lieux de soin aux internés incarcérés afin qu’ils puissent quitter le milieu carcéral au bénéfice d’une libération à l’essai. Notons également la promulgation d’une nouvelle loi relative à l’internement en date du 5 mai 2014 (Moniteur_Belge, 2014) qui remplaça (en 2016) les lois précédentes de défense sociale. L’intention politique fut claire : les internés doivent être traités dans le réseau de soin et non plus dans le réseau carcéral. Or les années passèrent et des internés restèrent coincés en prison par faute d’alternatives thérapeutiques. A l’heure actuelle, une pression importante est mise sur les équipes mobiles pour internés afin qu’elles trouvent ces alternatives.
Notre échantillon est composé de cinq membres du personnel de l’équipe mobile dédiée à l’internement sur la cour d’appel de Bruxelles. Il comprend deux psychologues, deux assistants sociaux et un éducateur qui font partie de cette équipe. Les participants se sont portés volontaires à la suite d’une rencontre où le projet de cette recherche avait été présenté dans les locaux de l’équipe mobile.
Les membres de l’équipe mobile qui avaient marqué leur accord à l’étude ont été rencontrés1 individuellement dans un de leurs bureaux, isolé, calme et permettant la confidentialité de l’échange. Le vécu des intervenants fut recueilli grâce à un entretien semi directif effectué. Cet entretien était composé des six questions suivantes concernant leur vécu professionnel : (a) pourriez-vous me dire en quoi consiste votre travail ? (b) Selon vous, qu’est-ce qui est particulier aux équipes mobiles pour patients internés ? (c) Quel est votre ressenti par rapport à la population dont vous vous occupez ? (d) En quoi vous sentez vous proche d’une logique de soin ? (e) En quoi vous sentez vous proche d’une logique de sécurité publique ? (f) Selon vous, qu’est-ce qui pourrait expliquer votre décision de travailler au sein d’une équipe mobile pour patients internés ? Les questions étaient ouvertes et invitaient les participants à parler le plus longuement possible de leur expérience. Les entretiens ont été enregistrés au moyen d’un dictaphone et ont été fidèlement retranscris afin de procéder à l’analyse du discours des participants.
Les récits recueillis ont été analysés au moyen d’une méthode qualitative d’analyse du discours nommée Interpretative Phenomenological Analysis (IPA). Cette méthode a été développée par Smith et al. (2009) et vise à identifier et à comprendre le sens que l’individu donne à son expérience. L’intitulé de cette méthode fait référence à la phénoménologie (Bachelor, 1986; Husserl, 1913, 1954) et à l’interprétation. Ce sont les piliers méthodologiques de l’IPA. En effet la méthode est qualifiée de phénoménologique car elle se réfère à l’expérience singulière et subjective de l’individu, elle vise à offrir une connaissance approfondie et contextualisée d’une situation. L’IPA est également qualifiée d’interprétative car elle considère la recherche comme un processus dynamique au sein duquel le chercheur et le sujet s’influencent mutuellement dans la compréhension du phénomène étudié. Le traitement des données par la méthode IPA vise à faire émerger l’expérience commune vécue par les participants. Dans ce but, le chercheur analyse les récits retranscrits et met en évidence les thèmes abordés par les participants, initialement de manière individuelle puis de manière commune. En effet, chaque participant se voit établir une liste des thèmes évoqués concernant son expérience. Les listes sont ensuite comparées afin d’identifier les thèmes qui sont partagés et témoignent donc une expérience commune. Dans le cas présent, les thèmes étaient considérés comme partagés si au moins trois des cinq participants les avaient abordés lors de l’entretien.
À la suite des rencontres avec les intervenants de l’équipe mobile, l’analyse détaillée des cinq entretiens nous permet de faire émerger un ensemble de sous-thèmes qui, une fois regroupés permettent d’établir les thèmes. Le Tableau 1 reprend la liste des sous-thèmes ainsi que leur pourcentage d’apparition au sein de notre échantillon.
Thème | Fréquence (%) |
---|---|
Le soin malgré le judiciaire. | 100.00 |
Carence en ressources matérielles. | 100.00 |
Demande motivée par des bénéfices secondaires. | 80.00 |
Le patient garde le contrôle du suivi. | 80.00 |
Réalité de travail différente. | 80.00 |
Méconnaissance des missions de l’E.M. | 60.00 |
Interchangeabilité des intervenants. | 60.00 |
Source de la demande. | 60.00 |
Quelle est la bonne place par rapport à l’hôpital qui les emploie ? | 40.00 |
Garder son équilibre dans un contexte en perpétuelle évolution. | 40.00 |
Vécu d’attentes élevées vis-à-vis de l’E.M. | 40.00 |
Déstigmatisation des patients internés. | 40.00 |
Manque de formation. | 40.00 |
Adaptation du suivi. | 40.00 |
Crainte face à l’avenir. | 40.00 |
Manque de considération de la part des partenaires. | 40.00 |
Flexibilité de l’E.M. Vs. Rigidité des institutions. | 40.00 |
Manque de soutien émotionnel | 20.00 |
Lacunes dans le réseau. | 20.00 |
Besoin de souplesse du suivi. | 20.00 |
Relation par rapport à la hiérarchie. | 20.00 |
Difficulté afin de trouver sa place auprès des partenaires. | 20.00 |
Déficit de reconnaissance. | 20.00 |
Manque de spécification du champ d’intervention. | 20.00 |
Manque de spécification des méthodes d’intervention. | 20.00 |
Créer une relation authentique avec le patient. | 20.00 |
Sentiment d’insécurité. | 20.00 |
Singularité par rapport aux autres équipes mobiles. | 20.00 |
À titre d’exemple, les sous-thèmes carence en ressources matérielles, réalité de travail différente, quelle est la bonne place par rapport à l’hôpital qui les emploie, manque de formation et relation par rapport à la hiérarchie sont liés à l’institution et peuvent donc être regroupé sous la thématique de l’employeur. Le processus de regroupement a permis de mettre en évidence l’existence de cinq thèmes partagés par les intervenants. Ces thèmes évoquent les particularités du travail des intervenants de l’équipe mobile liées à l’employeur, à la demande, à la mission, au mandat ainsi qu’au réseau.
Les intervenants de l’équipe mobile sont employés par un centre hospitalier de la ville de Bruxelles. Bien que les bureaux de l’équipe mobile soient situés en dehors de l’enceinte de l’hôpital, les membres de l’équipe restent rattachés à celui-ci de manière administrative et institutionnelle. Le thème de la relation avec l’employeur fut abordé lors de tous les entretiens. Elles se caractérisent par deux aspects : la logique de travail différente et le manque de moyen matériel.
Contrairement à un hôpital ancré physiquement avec ses services, les intervenants de l’équipe mobile se rendent au chevet de la personne, à son domicile ou dans une institution différente. Ainsi les sujets évoquent donc une réalité différente mais ajoutent le ressenti que l’employeur ne se représente pas le quotidien de l’équipe, le sujet 4 l’évoque en ces termes :
ils [l’employeur] ne nous voient pas au quotidien donc je pense qu’ils ne sont pas du tout au clair avec ce qu’on fait.
D’après le sujet 1, cette logique différente crée un écart qui semble être préjudiciable pour les travailleurs de terrain :
Ils sont dans un fonctionnement hospitalier et asilaire et nous on est un peu inclus aussi dans cette logique là mais avec des fonctionnements totalement différents et donc c’est de là que naît un peu finalement cet écart. On prend des décisions sans prendre en considération, je parle vraiment de… sans prendre en considération les gens du terrain.
Cette impression de manque de considération se retrouve au sein du quotidien des intervenants de l’équipe comme l’illustre le sous-thème suivant en mettant en avant les difficultés liées au matériel mis à disposition des travailleurs.
Au-delà des aspects matériels des bureaux, leur praticité et leur localisation, les intervenants de l’équipe abordent tous la question de la mobilité. En effet, les travailleurs de cette équipe mobile se voient dans l’obligation d’utiliser leur véhicule personnel dans la mesure où les intervenants ne disposent que d’une seule voiture pour les douze membres de l’équipe. Le sujet 4 fait état du paradoxe entre le besoin qu’a l’équipe de se déplacer et la logique hospitalière réprimant le fait qu’ils « coûtent cher en kilomètres ». Enfin, le fait d’avoir un seul véhicule à se partager ne leur permet pas de pouvoir se contenter uniquement de celui-ci pour remplir la mission qui leur est demandée, nous pouvons même inférer qu’ils le vivent comme une pression, comme l’illustre le sujet 5 en évoquant le fait que la voiture doit être, aux yeux de l’employeur, rentabilisée alors que la logique de fonctionnement ne le permet pas :
On a la voiture, il faut que vous fassiez des kilomètres avec, il faut que vous employiez ce véhicule non-stop, sauf que des fois ce n’est pas possible parce que ce véhicule on ne le reprend pas à domicile mais souvent, comme je disais, on organise nos agendas, on part de notre domicile au rendez-vous, on ne va pas venir sur Bruxelles pour chercher le véhicule et repartir, c’est ridicule, en nombre de kilomètres, en perte de temps et tout ça…
Les intervenants s’estiment ainsi pris dans un paradoxe lié à leur mobilité : ils doivent être mobiles mais surtout pas trop.
Le deuxième thème abordé par les participants fut la demande. Celle-ci peut émaner de différentes entités : le patient, un membre de l’entourage familial, un tiers faisant partie de la vie du patient ou encore de la Justice.
Ce thème fut abordé par l’ensemble des sujets rencontrés, ainsi, nous pouvons déduire qu’il s’agit là d’un élément très représentatif dans le suivi. Deux sous-thèmes furent évoqués concernant la demande des patients.
Le premier sous-thème est relatif à la source de celle-ci. En effet, cette dernière peut émaner de différentes sources telles que les référents des patients au sein des établissements de défense sociale comme le précise le sujet 2. Aussi, d’après le sujet 3, ces demandes peuvent également être formulées par l’avocat ou la famille ainsi que du patient lui-même.
Au-delà de la source dont elles émanent, il nous paraît utile de s’intéresser à comment l’équipe accueille ces demandes. Le sujet 1 nous éclaire en précisant qu’à son sens il leur est plus facile d’accueillir les demandes venant directement du patient plutôt que celles provenant d’un tiers. En effet, les demandes de ceux-ci pourraient mener à un suivi dans la contrainte, parfois même judiciaire lorsque l’équipe se voit être citée dans les conditions de libération à l’essai. Il nous paraît important de remarquer que tous les sujets ayant abordé cette question mettent en exergue l’importance que le suivi se fasse dans la compliance, c’est-à-dire exempt de contrainte judiciaire.
Le deuxième sous-thème relaté pose son regard sur les motivations des patients. Sur les cinq entretiens, quatre font état de demandes motivées par des bénéfices secondaires. Le sujet 1 met en avant que les patients, fragilisés, n’ont pas toujours l’étendue de connaissance du « champ d’action » de l’équipe mobile mais qu’ils mesurent l’utilité de présenter une équipe mobile en « filet de sécurité » devant la Justice. Aussi, il explique aussi qu’il arrive parfois que le lien se coupe à la sortie de l’institution où le patient est interné car l’équipe n’est plus utile au regard de celui-ci. Cependant, les sujets semblent être au clair avec cette forme d’instrumentalisation comme le précise le sujet 3 qui met en avant le fait que ces patients ont l’entité de la Justice au-dessus de leur tête et qu’il n’est pas difficile pour lui d’imaginer que ces patients « pensent à leurs intérêts et cherche les moyens de s’en sortir ». Ainsi, peuvent-ils être instrumentalisés et sont-ils amenés à rappeler le sens que peut avoir leur intervention. Le sujet 4 illustre également ce type de situation en ces mots :
Ils sont prêts à tout, ils disent oui à tout, ils veulent nous voir parce qu’ils se disent « tiens [Nom de l’équipe mobile], si j’ai un suivi avec [Nom de l’équipe mobile] c’est la porte de sortie » et une fois qu’ils sont dehors, c’est terminé, ils ne veulent plus nous voir quoi. Donc voilà, c’est arrivé.
À la suite de cette déclaration nous lui avons posé une question relative au ressenti que cela lui évoquait et nous avons eu pour réponse le même type de ressenti que le sujet 3, à savoir que cela lui paraissait « logique » et qu’il ne le vivait pas mal car en se mettant à leur place, il pouvait entendre que le patient tente « le tout pour le tout » pour sortir de prison par exemple.
Enfin les intervenants citaient que malgré ce type d’événements lors des suivis, ils continuaient de travailler la demande ayant pour but de continuer d’apporter une aide aux patients à la sortie.
Lorsque la question de la mission fut abordée, les sujets nous ont décrit la manière dont ils opéraient afin de remplir celle-ci, ceci nous permettant de mettre en avant les sous-thèmes repris ci-après laissant remarquer le jeu d’équilibre auquel les intervenants se confrontent.
D’une part, le milieu de l’internement se voit être la rencontre de deux mondes ayant des préoccupations différentes, le soin et le judiciaire. Les intervenants se retrouvent, du fait de la population dont ils ont la charge, à la frontière de ces deux mondes. Bien que chacun d’eux se réclame d’être sur le versant du soin, ils n’en sont pas moins exemptés de la présence de la Justice. Le sujet 4 illustre en ces termes l’inconfort que cela peut engendrer :
Il faut réussir à garder sa place qui est à la fois… dans le soin et à la fois pouvoir collaborer, mais toujours dans le bien-être du patient, avec la Justice et donc du coup parfois on aurait tendance à… en tout cas pour ma part, j’aurais peut-être parfois tendance à… prendre trop les devants.
Cette formulation intéressante mettant en avant la collaboration avec le secteur judiciaire dans le cadre du bien-être du patient peut être mise, à notre sens, en relation avec la notion de limite induite par le sujet 1 alors qu’il nous illustre sa conception du duo soin / justice :
Ça c’est un problème de limites je pense. Où poser nos limites, c’est vrai qu’on est là, on effectue effectivement, on essaie vraiment d’être en dehors, ne pas être annexé à la Justice, en même temps, on est tenu… Nous on est vraiment axé sur le soin dans le réseau de la santé mentale…
Dans cet extrait, le sujet 1 nous fait également part de sa volonté de ne pas être annexé à la Justice. Il arrive que les patients ne parviennent pas à comprendre que l’équipe mobile n’est pas représentative de la Justice mais bien du soin et ceci porte préjudice au suivi. De surcroît, nous pouvons également mettre en exergue le fait que l’entité de la justice ajoute un poids à la pratique quotidienne des travailleurs de l’équipe, en effet, comme le cite le sujet 5 :
Il y a la justice déjà qui est très importante dans notre prise en charge et ça ce n’est déjà pas quelque chose d’évident parce que voilà, il faut bien comprendre les tribunaux, les enjeux, comment ça se passe au niveau des délais pour bien pouvoir informer les patients des droits qu’ils ont et c’est pour ça que j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de choses qui se mélangent dans notre travail.
D’autre part, les intervenants nous rappelle privilégier un suivi dans la compliance, quatre membres de notre échantillon nous précisent être attentifs au fait de se centrer sur la demande du patient et de s’adapter au cadre de celui-ci et non l’inverse « contrairement à toutes les structures de soin qu’on peut retrouver, surtout pour les internés » comme nous le précise le sujet 1. Ainsi, le patient se voit maître de son suivi à plusieurs niveaux. Le premier est celui-ci : le patient accepte-t-il un travail avec l’équipe mobile ? Un autre niveau serait celui de la fréquence des rencontres, celles-ci étant définies avec les patients. Notons que le sujet 1 met en avant l’importance de ne pas « intruser2 le patient » et de respecter la distance souhaitée par celui-ci.
En définitive, nous pouvons remarquer qu’une notion apparaît en filigrane à la suite du discours des sujets : la notion d’adaptation. En effet, l’idée de s’adapter apparaît dans tous les discours et se trouve liée, entre autres à la pratique du suivi. Cette idée d’adaptation requiert une attention particulière dans différentes facettes du suivi. En effet, nous remarquons que les intervenants se voient dans l’obligation de s’adapter au cadre du lieu de vie du patient comme l’indique le sujet 4 en prenant l’exemple du domicile de celui-ci. Notons également que les contacts avec les patients peuvent avoir lieu dans d’autres cadres de vie, tel que celui des institutions, celles-ci ayant leur propre cadre requérant une adaptation de la part des intervenants de l’équipe mobile. Nous clôturerons ce thème sur cette citation du sujet 2 résumant le vécu du suivi :
Tant qu’une personne a le statut d’interné, nous on est compétent pour s’occuper d’elle et après, la façon dont on va la prendre en charge, qu’est-ce qu’on va mettre en place et bien ça c’est vraiment… Et aucun suivi n’est le même.
Le prochain thème est celui relatif au mandat. Celui-ci est intimement lié au thème correspondant à la mission, étant donné qu’il en définit les limites. Notons qu’il fut cité par seulement trois des intervenants chacun l’abordant selon son propre point de vue, nous permettant de mettre en avant la manière dont chacun d’eux le conçoit. Nous choisissons de mettre en avant le fait que cette équipe mobile a un mandat bien plus large que celui d’autres équipes mobiles qui « axent leur aide sur des choses très précises en fonction du mandat qui est le leur » comme le cite le sujet 2. Ce mandat plus large semble être à double tranchant, comme l’illustre ces deux citations issues respectivement des sujets 2 et 4 :
[…] tandis que nous, parfois on les rencontre à l’annexe psychiatrique et puis après, on met en place un projet et on les suit jusqu’à une hospitalisation ou un retour à domicile donc on est vraiment là pour être le fil conducteur et être présent dans chaque étape de leur, comment dire, de leur histoire d’internés.
Parfois on est aussi un peu pris pour… ‘Oui ben l’équipe mobile va le faire quoi’. On est un peu le…la poubelle quoi. On fait un peu tout, nous on a un mandat tellement large que …donc ça oui c’est vrai que c’est des difficultés, ça peut être intéressant de… discuter parce qu’on est souvent mis à mal dans le boulot avec ça.
Ainsi, aux travers de ces deux extraits, nous pouvons mettre en avant deux manières d’appréhender le mandat. Nous remarquons que, si le premier extrait décrit la façon qu’a le sujet 2 d’aborder le mandat de manière factuelle et neutre, le sujet 4, en revanche, prête au manque de limite du mandat une valeur plus négative. Nous retrouvons cette polarisation négative dans l’extrait du sujet 5 qui, dans son discours, apporte la notion d’injonction des entités mandantes, parfois au détriment même du sens clinique, en précisant :
[…] Oui, « Vous avez des subsides pour faire ça, et vous devez le faire » mais au niveau de la réalité de terrain de la clinique, ça n’a pas de sens ! Et ça, c’est difficile d’accepter quelque chose où l’on ne voit pas de sens et de travailler dans ces conditions-là, donc ça, je trouve que c’est un inconvénient.
Pour conclure cette thématique, nous remarquons que deux des sujets sur les trois abordant le mandat nous relate un vécu globalement négatif quant à la largeur de celui-ci, son manque de limite pouvant, aux regards des discours, mettre à mal la pratique clinique des intervenants.
De la même façon que le mandat, la place de l’équipe au sein du réseau est définie par les autorités mandantes. Malgré cette affirmation, nous pouvons mettre en avant que la question de la place que l’équipe mobile occupe au milieu de ses partenaires n’est pas aussi bien définie qu’il n’y paraît. Le sujet 3 l’évoque en précisant le manque de reconnaissance liée à celle-ci :
J’ai l’impression qu’il faut toujours convaincre en fait que ce n’est pas de l’argent perdu et ça, ça peut être une source de frustration pour moi. Et émotionnellement peut être là où c’est un peu plus difficile.
À cette idée de place s’ajoute le fait que si le fonctionnement de l’équipe mobile reste difficile à appréhender pour le centre hospitalier employeur (voir supra, une réalité de travail différente), il semble en aller de même pour les partenaires réseau qui « n’ont aucune idée de ce qu’est une équipe mobile et de comment elle travaille » d’après le sujet 1 qui met en avant un paradoxe, malgré la méconnaissance de l’équipe, le réseau place en elle des attentes élevées comme le précise l’extrait de son discours :
[…] il faut les mettre [les internés] dehors parce qu’ils ont fait leur séjour et qu’il faut trouver une solution et du coup, « il n’y a pas de problème, on va les mettre en Equipe Mobile, là c’est une garantie que tout va rouler ».
Aussi le sujet 5, quant à lui, met en avant le sentiment de solitude et du « soutien qu’on aimerait avoir et qu’on n’a pas toujours… des assistants de Justice ou des médecins de tutelle » qui peut se manifester dans le cas où l’état d’un patient se dégrade et que les intervenants obtiennent pour réponse :
Souvent ce qu’on nous dit c’est « oui la Justice, ça prend du temps » oui mais bon ! « Là ça devient vraiment chaud, il faudrait agir maintenant »… et donc là on se sent complètement démuni.
L’extrait choisi ici nous permet de mettre en avant la valeur émotionnelle liée au vécu de la relation au réseau. Celle-ci nous évoquant une frustration chez les intervenants, sur des questions de sens clinique, donc relative à l’intérêt du patient, comme dans l’extrait ci-dessus mais également à des questions de relation entre l’équipe et l’institution. En effet, nous évoquions précédemment le cadre flexible de l’équipe mobile dans le sens où elle adapte sa prise en charge au besoin des patients (voir supra, le patient aux commandes) mais également aux institutions et à comment elles conçoivent la collaboration avec l’équipe mobile. En conclusion, cette flexibilité du cadre de la part de l’équipe mobile par rapport à celui des institutions n’est pas sans avoir de conséquences sur la nature de la relation entre les protagonistes, pouvant parfois amener les membres de l’équipe à avoir la sensation d’être « malmenés » comme nous le partageait le Sujet 4.
Toute société humaine crée un système plus ou moins cohérent de règles afin de réguler les interactions sociales de ses membres. Il existe un axiome implicite selon lequel la plupart de ces membres comprennent ces règles et décident sciemment de les respecter ou de les enfreindre. Force fut toutefois de constater que certains membres de la collectivité étaient moins aptes à la compréhension des règles. Déjà le droit romain antique excusait les enfants et les fous de la commission de méfaits (Bouley et al., 2002). Dans les sociétés occidentales contemporaines, cette distinction entre les personnes estimées responsables et les personnes estimées irresponsable perdure. Une personne responsable qui commet une infraction est censée faire l’objet d’une sanction pénale (selon une logique punitive). Une personne irresponsable est censée être aidée ou éduquée (selon une logique sanitaire). En 1930, le législateur belge a opté pour une mesure mixte censée traiter des personnes irresponsables estimée dangereuse dans un encadrement pénal : l’internement (Moniteur_Belge, 1930). Cet internement n’a jamais pu s’affranchir de son ambivalence initiale, tiraillé entre le traitement médical et la sanction judiciaire.
En Belgique, un grand nombre d’internés ont été ou sont encore incarcérés. Si Chantraine (2003) avait parlé des inutiles au monde en parlant des détenus de droit commun, l’interné en est une figure encore plus exacerbée compte tenu des troubles psychiques sévères et précoces constatés chez eux (Saloppé et al., 2012). Pour le dire simplement, il s’agit d’une catégorie sociologique peu compatible avec les attentes sociales contemporaines notamment en termes de productivité et de rentabilité financière ou symbolique et pour laquelle il n’existe pas de méthode de normalisation simple. C’est probablement une des raisons principales pour lesquelles les internés restèrent plusieurs décennies dans l’ombre des annexes psychiatriques carcérales. L’intention politique de les en faire sortir mit en lumière une question sociétale irrésolue jusqu’alors : que faire de ces personnes ?
Les équipes mobiles pour internés furent créées pour tenter de répondre à cette question pour le moins épineuse. On ne s’étonne dès lors guère de la pression ressentie par ces intervenants et leur impression d’être parfois la « poubelle » du système pour reprendre un terme utilisé par un de nos sujets. Ce terme apparaît comme étant péjoratif et renvoie à cette impression de porter une mission de laquelle de nombreuses personnes s’étaient déchargées précédemment (un peu comme le jeu de cartes du valet puant dont tous les joueurs tentent de se débarrasser à leur voisin afin de ne pas perdre la partie). C’est un des premiers constats majeurs de notre étude : les intervenants ressentent un malaise par rapport à la mission globale qui leur est confiée. Ils évoquent le flou du cadre de travail et une impression d’être incompris par les autres professionnels du réseau de soin mais également du réseau justice. Ils sont confrontés à des injonctions parfois paradoxales face auxquelles ils doivent trouver des compromis. En lien avec ces compromis retrouve-t-on une fragilisation des identités professionnelles et une difficulté d’être reconnu positivement dans leurs actions, tant des internés que des autres professionnels. Leur position professionnelle apparaît dès lors inconfortable et nécessite d’intenses ressources adaptatives, probablement coûteuses en énergie.
Notons en outre que les intervenants de l’équipe mobile font état de leur sens de l’adaptation, de la conciliation, de la négociation mais n’ont spontanément pas évoqué un modèle de prise en charge thérapeutique explicite. Ils insistent toutefois à plusieurs reprises sur l’importance du soin. Mais de quel soin s’agit-il ? L’intention nous semble bien présente mais aucune définition claire n’y est donnée. Par conséquent, la prise en charge des internés repose sur un humanisme solide voire héroïque des intervenants mais qui peine à faire germer une technique thérapeutique précise. Les intervenants semblent concevoir leurs interventions dans un logique d’accompagnement bienveillant sans pouvoir s’autoriser des objectifs de soins plus ambitieux.
À plusieurs reprises, les intervenants de l’équipe mobile évoquent les deux logiques entre lesquelles ils travaillent : la logique sanitaire et la logique judiciaire. Ces deux logiques ont toutes deux une longue histoire, une légitimité sociale et une cohérence interne. Dans les pays occidentaux modernes, elles trouvent une réalité politique sous la forme de deux ministères importants : le ministère de la santé d’une parte et le ministère de la justice d’autre part. Tous deux proposent des modèles de prise en charge différents et pas nécessairement compatibles. Ces deux modèles façonnent des modes de pensée et des modes d’interventions (par le biais de procédures officielles) face à un problème donné (par exemple : le meurtre d’une personne dans l’espace public). Ces modèles proposent dès lors des lectures de la réalité sociale afin d’y trouver des réponses (pratiques mais également politiques). Ces réponses peuvent parfois apparaître tout à fait adaptées et appropriées. Parfois moins.
En effet, elles sont susceptibles de réduire la réalité d’une situation c’est-à-dire lui ôter des caractéristiques propres non prévues par le modèle d’intervention. Les professionnels qui suivent les procédures peuvent subir l’effet Procuste. Procuste est un personnage de la mythologie grecque que le héros Thésée terrassa.
Celui-là habitait au bord de la route. Il possédait deux lits, l’un très petit et l’autre très grand ; et tous ceux qui passaient par là, il leur proposait d’être ses hôtes. Mais, ensuite, ceux qui étaient petits de taille il les allongeait dans le grand lit et il leur déboîtait toutes les articulations jusqu’à les faire devenir aussi grands que le lit ; et les grands, par contre, il les mettait dans le petit lit, et il sciait les membres de leur corps, qui dépassaient. (Apollodore, Épitomé, I, 4)
En psychologie, l’effet Procuste consiste à faire rentrer les individus dans nos catégories mentales quitte à scotomiser une partie de leurs caractéristiques propres. Les internés sont-ils des délinquants ? Pas exactement puisqu’ils sont moins responsables que les autres.
Les internés sont-ils des malades ? Pas exactement car peu revendiquent cette étiquette et demandent à être aidés pour des problèmes personnels. Les intervenants de la justice seraient dès lors tentés de les rétrécir et les intervenants de la santé seraient tentés de les allonger afin qu’ils correspondent aux modes de prise en charge prévus officiellement. En procédant de la sorte, il apparaît rapidement que ni l’un ni l’autre ne semblent pleinement efficaces pour résoudre les problèmes de fond. C’est ce que semblent nous dire les intervenants de l’équipe mobile pour internés lorsqu’ils évoquent leurs difficultés à se conformer aux autres professionnels du réseau et à évoluer dans un cadre d’intervention flou, vecteur d’incertitudes, de remises en question professionnelle voire de malaise. Comment sortir de cet inconfort ? Y a-t-il moyen de sortir du clivage soin / justice ? Existe-t-il d’autres modèles d’intervention ?
Il n’est pas évident de se décaler de logiques assises depuis plusieurs siècles sur leur héritage réciproque. Notons toutefois les tentatives relativement récentes de déconstruire la fonction punitive de la justice au profit d’une approche médiationnelle telle que proposée par la justice qualifiée de restaurative : selon cette conception, le délit n’est plus considéré comme une infraction à la loi, mais comme un conflit interpersonnel provoquant une rupture dans la relation tripartite entre l’auteur, sa victime et la société.
Dans cette optique, le rôle de la justice est d’offrir une réponse officielle permettant de réparer et restaurer cette relation perturbée (Zehr, 2015). La justice restaurative invite à la créativité et tente de concilier l’intérêt de toutes les parties. Il s’agit d’un mouvement qui fait appel à l’innovation des pratiques judiciaires et qui reçut des accueils variés d’un pays à l’autre (Jaccoud, 2008). A l’heure actuelle, nous ignorons si ce modèle pourrait être utile dans la prise en charge des personnes internées. Que ce soit ce modèle ou un autre, il semble toutefois indispensable de trouver des sources d’inspirations nouvelles et créatives afin de ne pas répéter inlassablement les maladresses antérieures qui amènent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.
L’essor des équipes mobiles est encore relativement récent. Selon Bonsack et al. (2008):
Les modèles originels de psychiatrie mobile proviennent de la première vague de désinstitutionalisation dans les années 60. Cette première vague était rendue possible par la découverte des neuroleptiques et était portée idéologiquement par la dénonciation de l’asile comme « institution totale » et déshumanisante.
Le développement de ces équipes mobiles amène une série de questions liées au changement de pratiques psychiatriques antérieures mais également des innovations qui font encore l’objet d’évaluation. Zeltner & Bouloudnine (2019) évoquent un phénomène fréquent dans la pratique de diverses équipes mobiles : les rendez-vous manqués avec le patient. Ainsi évoquent-ils la notion d’accordage affectif comme « manière d’être en relation dans un registre émotionnel compréhensible par l’autre, introduisant du familier et un pas de côté quand on cherche à ‘faire alliance’ et que l’on est thérapeute ». Cette notion d’alliance semble être importante. Les résultats de notre étude semblent toutefois indiquer qu’elle n’est pas systématiquement aisée à construire avec les patients internés. En effet, les professionnels évoquent l’impression d’être parfois instrumentalisés, la difficulté de trouver la juste distance avec les patients (ne pas violer leur intimité psychique) et des ruptures parfois brutales de contact. En parallèle, semblent-ils avoir accepté cette modalité relationnelle bien que l’on puisse aisément concevoir qu’elle soit source de frustrations voire d’inquiétudes au sujet d’un patient qui ne répondrait par exemple plus à leurs appels téléphoniques. Il semble bien que ce soit ce lien qui soit la condition sine qua non à une prise en charge plus personnalisée des patients. Schonrock (2019) affirme qu’amener un patient vers l’extérieur « ne peut se faire sans la création, au préalable, du lien de confiance entre le professionnel et l’usager ». Elle s’inspire de la théorie du lien social de Paugam (2008) pour cerner la mission des équipes mobiles : tenter de renouer les différents types de liens qui unissent un individu au groupe social. Mais à nouveau, la condition préalable à cette étape demeure la création initiale du lien entre le patient et l’équipe mobile.
Quels sont les éléments qui facilitent ou font obstacle à la construction de ce lien avec les patients internés ? Notre étude ne permet pas de répondre précisément à cette question. Elle permet toutefois de soutenir l’idée que cette question est un prérequis aux autres questions de type thérapeutique.
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Fromont & Thiry (2023, Jan. 28). Psychologie et délinquance: Vécu des intervenants psychosociaux en équipe mobile pour internés en Belgique, approche phénoménologique. Retrieved from https://benjaminthiry.netlify.app/posts/2023-01-28-vecuintervenantspsychosociaux/
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@misc{fromont2023vécu, author = {Fromont, Jérémy and Thiry, Benjamin}, title = {Psychologie et délinquance: Vécu des intervenants psychosociaux en équipe mobile pour internés en Belgique, approche phénoménologique}, url = {https://benjaminthiry.netlify.app/posts/2023-01-28-vecuintervenantspsychosociaux/}, year = {2023} }