Début d’émeute à la prison de Forest

Le 26 juillet 2022, les détenus de la prison de Forest (Bruxelles) se sont barricadés dans l’aile B afin de protester. Quel était l’objet de leur mécontentement ? Comment mieux comprendre la situation ?

Benjamin Thiry https://benjaminthiry.netlify.app/
2022-07-26
Prison de Forest

Prison de Forest, matin du 26 juillet 2022.

La journée débutait apparemment comme à l’accoutumée. J’arrivai à la prison, croisai les agents avec qui j’échangeai des salutations chaleureuses, parvins dans mon bureau, fis chauffer de l’eau et m’entretins avec les quatre ou cinq collègues présents dans le service psychosocial. Entre deux entretiens, l’une d’entre elles me dit qu’elle n’était pas en forme ce jour. Elle avait les larmes aux yeux mais accueillit le détenu qu’elle devait voir lorsqu’il arriva. Une autre me confirmait son départ de la prison. Cette information m’attristait mais nous parlions de projets communs hypothétiques mais possibles, pour nous remonter mutuellement le moral. Alors que nous en discutions, un brouhaha se fit entendre au travers d’une porte qui donne sur les ailes A et B de la prison. Ce brouhaha s’intensifia et donna lieu à des cris de colère et de meubles déplacés. Quelque chose n’allait pas. Nous sortîmes de la section psychosociale pour gagner le centre de la prison. Les agents s’agitaient et se rendaient vers les ailes A et B. Un détenu sortit d’un des bureaux et nous l’invitèrent à patienter dans la salle d’attente. Je descendis les escaliers et rejoignis les surveillants en contrebas. La situation était grave. Personne ne le disait mais tout le monde le sentait. La directrice avait l’oreille collée au téléphone : elle appelait la police et lui demandait d’envoyer des renforts au plus vite. Les détenus de l’aile B avaient demandé aux agents pénitentiaires de quitter la section pour s’y barricader à l’aide d’armoires en métal, de bureaux et de chaises. Que voulaient-ils donc ?

Les minutes s’allongèrent dans l’attente des policiers. Je trouvai personnellement refuge dans le centre de la prison avec le chef Yvan, aux commandes de l’ouverture et la fermeture des portes, concentré et l’air grave. Il ne prononçait pas un mot de trop, focalisé sur sa tâche, sur le maintien du contrôle de la situation. Des directeurs du site de Saint-Gilles rejoignirent leur collègue déjà sur place. Ils se rendirent à l’aile B afin d’échanger avec les détenus courroucés. Deux d’entre eux furent désignés pour représenter les autres et accompagnèrent les directeurs et certains agents dans le réfectoire de la prison, ainsi transformé en salle de négociation. Les minutes s’allongèrent à nouveau et le calme tomba sur la prison. Elle semblait retenir son souffle. Sur les écrans de sécurité, je voyais une enfilade de policiers en combinaison d’intervention à l’entrée principale de la prison. Immobiles, ils attendaient un éventuel ordre d’intervention en cas de débordement de la situation intérieur. Vers 11h30, la négociation toucha à sa fin, les deux détenus et le personnel de la prison sortirent du réfectoire de manière calme et résolue. Les deux ambassadeurs des détenus s’entretinrent avec leurs pairs. Ils décidèrent de regagner leur cellule dans le calme. Les policiers se retirèrent et quittèrent les lieux.

Quelle était la demande des détenus ? Ils réclamaient la rédaction des avis des directeurs relatifs à leurs demandes de sorties. En effet, la loi prévoit que des personnes condamnées peuvent introduire des demandes de sorties ou de libérations à certains moments de leur peine. Le directeur de la prison doit émettre un avis relatif à ces demandes avant de les soumettre aux autorités décisionnelles (le ministre de la justice ou le tribunal d’application des peines). Or, on note une pénurie de directeurs ainsi qu’un accroissement des tâches administratives au sein de l’administration pénitentiaire. Les directeurs s’avèrent dès lors de moins en moins disponibles pour rédiger leurs avis dans de bonnes conditions. Ainsi se retrouvent-ils bien souvent à parer au plus pressé, devant choisir entre une situation urgente et une autre qui le serait encore plus. Par conséquent, les situations de frustration s’accumulent au point où il s’avère difficile de toutes les solutionner. Bien entendu, la frustration mène à une tension grandissante entre le directeur et le détenu, chacun reprochant à l’autre un manque de compréhension ou de bonne volonté. On se doute toutefois que le problème ne relève nullement d’une mauvaise compréhension ou volonté car elle repose sur une impossibilité matérielle de produire suffisamment d’avis dans les délais impartis par la loi. Pointés du doigt ici, les directeurs constituent la clé de voûte de la légitimité carcérale. Ils sont les représentants symboliques de l’ordre et de la loi au sein de l’institution. Il apparaît dès lors étonnant qu’ils soient mis dans des conditions matérielles d’impossibilité de se conformer aux attendus légaux. Cette impossibilité constitue une sape de leur légitimité. Or, la perte de légitimité du directeur va immanquablement de pair avec celle du système carcéral. On peut bien sûr entendre que certains se réjouissent de l’effritement des institutions carcérales (pour des raisons idéologiques). Mais – jusqu’à de nouvelles décisions politiques fortes – ces institutions gardent une utilité sociale (qu’on estime louable ou pas). En outre, le personnel des prisons est constitué d’êtres humains qui travaillent dans un contexte difficile et défendent souvent un humanisme et des valeurs humains bien éloignées des préjugés extérieurs. Il ne paraît pas souhaitable de les abandonner à leur mission que d’aucuns estiment ingrate. Les directeurs, les surveillants, les greffiers, les travailleurs psychosociaux font partie du personnel carcéral. Il s’agit dès lors de les soutenir dans leurs intentions souvent bienveillantes à l’égard des détenus. Pas de leur demander de réaliser une tâche impossible qui déchaînerait les foudres divines sur eux en cas d’échec. C’est seulement en soutenant ces professionnels que la situation des détenus pourra s’améliorer.

Quelles seront les suites des événements de ce matin à la prison de Forest ? Il est possible que demain, la routine de tous les jours reprenne son cours. Il est également possible qu’ils donnent lieu à une réflexion sur les pratiques de chacun. L’avenir nous le dira…

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